Art différencié, art outsider? Retour sur l'expo « Ave Luia » de l'ASBL La "S"Grand Atelier à Rencheux-Vielsalm
(L'expo "Ave Luia" a eu lieu dans les belles salles d'exposition de La "S" Grand Atelier à Rencheux-Vielsalm)
Elle était organisée à Vielsalm par l'ASBL La "S" Grand Atelier, née dans le giron de l'ASBL Les Hautes Ardennes et s’est terminée le 17 juillet 2015.
Vous ne l’avez pas vue ? Tant pis ! Il vous reste à visiter la galerie photo de salm.be pour en avoir une petite idée.
Ou alors, rendez-vous à Paris à l’Espace Abcd, une galerie d’art qui contient une importante collection privée d’art brut. Elle accueillera « Ave Luia » en octobre après avoir accueilli l’expo « Champs de Bataille » (œuvres d’Éric Derkenne, résident de l’ASBL Les Hautes Ardennes et artiste de La « S » Grand Atelier. Éric est malheureusement décédé il y a quelques mois). L' ASBL La « S » Grand Atelier sera également présente à la foire artistique « Outsider Art Fair » à Paris en octobre 2015.
(L'artiste Irène Gérard devant ses portraits de papes) L’exposition « Ave Luia » présente des oeuvres nées d’un travail collectif d'artistes handicapés mentaux (dits outsiders) et non handicapés (dits contemporains)autour de la thématique de la religion. Ce travail collectif se poursuit toujours et enrichira de nouvelles œuvres l’exposition d’octobre à Paris. Un nouveau projet a démarré cet été: "La Bible Dorée", une relecture de la bible gravée de Gustave Doré.
On évoque souvent les œuvres produites par des artistes handicapés mentaux (porteurs d'un handicap, comme on dit aujourd'hui) ou souffrant de troubles de la santé mentale, comme relevant de l’art outsider, brut, en marge ou différencié, une manière de souligner, selon certains, que ces artistes ont échappé aux normes académiques, au conditionnement culturel et au conformisme social.
« Ces auteurs ont produit pour eux-mêmes, en dehors du système des beaux-arts, des œuvres issues de leur propre fonds, hautement originales par leur conception, leurs sujets, leurs procédés d’exécution, et sans allégeance aucune à la tradition ni à la mode. » (Michel Thévoz, « L’Art Brut », Genève, Skira)
MAIS… « Nulle « extériorité radicale», donc, nul « exotisme » et nul imaginaire d’un monde expressif qui serait étranger à la culture, mais des dispositifs de création, mais des modes d’expression, mais des identités artistiques d’une extrême richesse et dont le caractère singulier – la beauté, la force, l’énergie -, procède autant de l’écart dont ils témoignent que des liens qui les nourrissent. La périphérie culturelle où paraissent se tenir les créations du Créahm est aussi le lieu privilégié d’où le centre est interrogé et rendu visible ! » (Présentation du projet artistique, sociétal et culturel du Créahm sur www.creahm.be)
(Pour visiter l'expo, il fallait passer sous une voûte formée de chaises d'église!)
La création collective « Ave Luia » fait suite à une autre création collective « L’Army secrète » (je vous renvoie à ma chronique sur cette exposition via le lien ci-dessous).
Voici ce que Patrick Perin écrit à propos du projet "Ave Luia": « Dans le travail qui nous occupe, l’intérêt est donc à chercher dans la désacralisation de l’image religieuse, dans sa transformation ou réappropriation par les artistes et dans le réinvestissement de sens qu’ils y apportent. Bien sûr, certains esprits chagrins ne pourront sans doute pas s’empêcher d’y voir une démarche irrévérencieuse, voire sacrilège, mais c’est aussi là un des intérêts du projet « Ave Luia ». (…) En bref, il y a, dans le projet « Ave Luia », un jeu de va-et-vient entre désacralisation et sacralisation des images créées.
(Rémy Pierlot caressant une de ses oeuvres) Enfin, revient encore et toujours la question de la valeur marchande de ces créations. Il est amusant de constater que la majorité des pièces nées dans le cadre du projet sont issues d’objets et d’images récupérés en seconde main, donc déconsidérés d’un point de vue financier ; or, la seconde vie qui leur est donnée redonne à l’objet une valeur pécuniaire.
On le voit donc, le projet « Ave Luia », loin d’être provocateur, cherche à soulever quelques questions de fond sur la place de la religion aujourd’hui, singulièrement dans le champ de l’art et plus particulièrement encore dans le champ de l’art outsider.
Il nous reste à garder la foi dans nos modestes réponses, Ave Luia. »
Pas provocateur? D'accord mais l'humour et la subversion ne sont pas loin... Nul doute malheureusement que si « Ave Luia » était présentée à Moscou, le groupe d'activistes chrétiens « Volonté de Dieu » s'en prendrait à cette exposition comme il l'a fait récemment avec des oeuvres d'artistes exposées au Manège à Moscou, sous le prétexte qu'elles portaient atteinte à leurs sentiments religieux.
A propos de La "S" Grand Atelier
Comme on peut le lire sur son site, « La « S » Grand Atelier propose une série d’ateliers de création (arts plastiques et arts de la scène) pour des artistes mentalement déficients.
« Loin de toute considération compassionnelle, ces ateliers sont encadrés par une équipe de professionnels de l’art et diffusent largement les œuvres produites, dans tous les milieux culturels. La "S" fonctionne également comme un laboratoire grâce à des résidences artistiques d’interactions et d’expérimentations diverses entre ces artistes communément appelés « outsiders » et des artistes contemporains. »
Des rencontres « dont les enjeux reposent avant tout sur les compétences artistiques de son public et non pas seulement sur ses déficiences (même si ces déficiences sont la source des singularités formelles). L’ASBL entend ainsi valoriser « la mixité entre artistes handicapés mentaux (dits outsiders) et non handicapés (dits contemporains) » et comme le précise encore son site, « une attention particulière est portée au caractère éthique de chaque projet, La « S » se portant garant du respect de chaque artiste accueilli en son sein. »
Pour découvrir quelques photos, cliquez ici. La "S" Grand Atelier a publié sur sa page Facebook de très belles photos de ses résidences d'été d'août 2015.
Jacques Gennen, 28 août 2015