Instances communales : en présentiel ou en virtuel ?

Le Ministre wallon Christophe Collignon a soumis à l’avis de l'UVCW, l’Union des Villes et Communes de Wallonie, des avant-projets de décret organisant les réunions à distance pour l’après-Covid. 

L’UVCW a rendu son avis et je n’y vois pas que du bon !

Manifestement, pour les séances de collège ou d’autres exécutifs locaux, le virtuel (ou le distanciel, comme on dit aussi) pourrait devenir la règle. Est-ce vraiment ce qu’il y a de mieux à faire pour la gestion d’une commune, surtout lorsqu’il y a deux ou plusieurs groupes représentés dans le collège ? 

(A Vielsalm, on se voit seulement à quelques-uns sur l'écran. Ici, quelques minutes avant le début de la dernière séance... Vraiment pas l'idéal ! Lire et relire les critiques de la philosophe Claire Marin ci-après !)

Mais surtout, l’UVCW me semble peu disposée à soutenir que le présentiel doit rester une exigence fondamentale et essentielle au bon fonctionnement d’une instance démocratique comme le conseil communal. 

Voici un extrait de l’avis de l’UVCW : 

« Comparaison n’étant pas raison, on relèvera, à titre illustratif sur la question, qu’en Flandre, il semblerait qu’une modification décrétale soit en cours1, permettant même aux conseils communaux de choisir d’inclure les réunions numériques dans leur règlement d’ordre intérieur (le conseil devra lui-même déterminer les conditions, sur la base du cadre établi par le décret du Gouvernement flamand). (...)

À l’heure actuelle, il nous semble qu’une modernisation et un assouplissement au niveau des collèges, BP… s’avère nécessaire, mais la réflexion pourrait se poursuivre en ce qui concerne les conseils communaux, conseils de l’action sociale… Si le présentiel demeure - ainsi que nous l’avons signalé plus haut - très important (danger de fracture numérique parmi les citoyens, problématique des zones blanches…), et partant le principe, une évaluation assez rapide des décrets en cause pourrait guider dans cette réflexion, à mener aussi à la lumière de la problématique de la digitalisation des services publics. » 

Et encore : « Si les réunions en présentiel des organes législatifs doivent demeurer à tout le moins pour le moment la règle et les réunions virtuelles l’exception, la question de l’opportunité d’un développement plus poussé du virtuel pour ces organes mériterait cependant une réflexion sereine à l’avenir. 

Concernant les organes « exécutifs », l’UVCW et la Fédération des CPAS estiment qu’il est justifié, dès à présent, de leur permettre, dans le respect des principes démocratiques fondamentaux garantis dans le CDLD et la LO, de se réunir de manière virtuelle, également en situation ordinaire, sans motivation particulière. »

Comme on peut le lire, l'UVCW ouvre largement la porte aux séances virtuelles ! 

Sans doute, le virtuel a-t-il de bons côtés ! 

Il ne s’agit pas de remettre en cause le recours au virtuel pour certaines réunions, particulièrement en ces temps de crise sanitaire même s’il est parfaitement possible de réunir un conseil communal dans une grande salle de village, comme cela a déjà été le cas à Vielsalm et comme c'est encore le cas dans diverses communes. 

 (Une image d'archives... C'était quand même plus sympa !)

Le virtuel n'est pas sans intérêt: limiter certains déplacements, permettre à un mandataire retenu chez lui de participer à une réunion ou encore éviter les déplacements après le couvre-feu pour les éventuels spectateurs d’un conseil communal en présentiel. 

On comprend aussi l’intérêt d’une visioconférence lorsqu’il faut se déplacer à Namur ou à Bruxelles pour une réunion de courte durée surtout si elle porte sur des sujets non conflictuels. Et on la comprend d’autant mieux lorsque les mesures sanitaires ne peuvent être respectées. La visioconférence a heureusement, en ces temps de crise, permis à bon nombre d’instances communales ou autres de continuer à fonctionner ! 

Mais l’idée dominante dans la position de l’UVCW est donc de permettre et même de favoriser les réunions virtuelles quand on sortira de la crise sanitaire!

Les dangers du virtuel, du tout à l'écran  

Cette ruée vers le virtuel n'est pas sans danger pour le bon fonctionnement des instances élues directement ou indirectement: il va faire perdre aux mandataires l’essence même du débat démocratique qui repose notamment sur la présence des autres et le face-à-face physique. 

Comme le souligne la philosophe Claire Marin (dans Imagine, novembre-décembre 2020), « le Covid a évidemment encouragé le repli sur le monde virtuel avec tout ce qu’il a d’addictif, toutes les formes d’imposture, la virtualisation des rapports sociaux, les fake news…  

L’écran est un leurre. Je suis face à des images sans relief, sans présence. C’est désincarné. C’est l’idée du « spectateur indifférent » qu’évoque Merleau-Ponty. On est à distance de l’autre, face à un spectacle, mais on est surtout dans un rapport fonctionnel. On est productif, enfin on croit l’être. C’est expédié, commode, ça m’épargne des efforts.

On est dans une transmission d’informations, pas dans la communication. Les conversations s’étirent, ne sont pas raccord. On se voit, mais on ne se regarde pas. On s’entend, mais on ne s’écoute pas. Les paroles se superposent. On est maladroit. C’est décalé, hostile quand il y a des bugs (…). »  

Sans doute faut-il faire le tri : notre pratique de la visioconférence ne débouche pas toujours sur un constat aussi sombre. Mais la présence physique me paraît indispensable là où des débats contradictoires sont obligés parce que les objectifs poursuivis ou les visions d’un développement touristique ou économique par exemple sont différents d’un groupe à l’autre. 

Sans oublier que la maîtrise de la réunion en virtuel par le ou la bourgmestre le plus souvent permet aussi à celui ou celle qui la possède de mieux contrôler et parfois réduire, selon les expériences vécues dans certains conseils communaux la prise de parole ou le temps de parole. 

Qui appréciera ce qui est extraordinaire, ce qui relève de la force majeure ? 

Il reste à espérer que les conditions d'utilisation de ces notions seront cadenassées dans le texte du décret ou de son arrêté d’exécution en imposant par exemple une concertation entre chefs de groupe ou l'adhésion des deux tiers des conseillers. 

Une mise au point du ministre 

Heureusement, dans l’édition du Soir du 8 février, le Ministre Christophe Collignon a confirmé de bonnes intentions concernant les réunions du conseil communal en présentiel, après la crise : « Pour les conseils communaux, les réunions par vidéoconférence resteront l’exception, en cas d’événement extraordinaire. Mais elles seront donc possibles. La règle sera toutefois la réunion en présentiel. » 

Certaines conditions imposées par les textes ministériels sont contestées par l’UVCW ! 

Une précision encore : les textes préparés par Christophe Collignon  imposent certaines conditions de motivation : ils conditionnent, en situation ordinaire, le recours aux réunions à distance à une motivation de force majeure pour les « exécutifs » des communes et des CPAS et interdisent, en situation ordinaire, le recours aux réunions à distance pour les organes de gestion des paralocaux.  

Mais l’UVCW conteste même ces conditions ! 

Quelle retransmission sur le Net pour les séances du conseil communal ? 

Bien entendu, que ce soit pour une séance virtuelle ou pour une séance en présentiel, se pose aussi la question de la retransmission des séances du conseil communal sur le Net via You Tube par exemple. Une formule qui mérite réflexion car sa mise en œuvre exige des moyens techniques notamment. Certaines expériences méritent d’être approfondies. 

Il est loin le temps où, lorsque j’étais bourgmestre, le conseil communal se réunissait dans une salle de village en présence d’un nombreux public lorsque l’ordre du jour comportait des points importants dans la vie d’une commune (l’implantation d’une usine, le plan de gestion de la forêt communale, un projet de contournement, l’avenir du service de distribution d’eau potable, etc.). 

Jacques Gennen, 21 février 2021